Les armées françaises dans la Grande Guerre
 TOME 1, 2e VOL. - PREMIÈRE PARTIE. - CHAPITRE VII. pages 440 à 444
Montmédy

3. MONTMÉDY
   Construite sur un promontoire dominant la Chiers, la place de Montmédy commande la voie ferrée descendant la vallée vers Sedan et les routes se dirigeant vers Sedan, Stenay et Verdun.
    Son rôle est défini par la dépêche ministérielle du 6 avril 1909 et rappelé en partie dans le mémoire de 1910 :
    « En l'état actuel de l'armement et de la fortification, la place de Montmédy n'est pas susceptible de soutenir un siège ; elle st simplement appelée à servir de point d'appui aux troupes opérant dans la région :
« 1° pendant la période de couverture,
« 2° pendant la période des opérations actives.
    « La place doit, en outre, assurer la protection de la voie ferrée et du tunnel.
    Le gouverneur ne doit dans aucun cas rendre la place avant d'avoir assuré la destruction du tunnel.
    « Cette destruction ne peut être ordonnée que parle commandant en chef, à moins que, par suite de circonstances exceptionnelles, le gouverneur n'ait à en prendre l'initiative. » (1)
La garnison qui lui est affectée comprend un bataillon d'infanterie du  65e régiment plus une compagnie de dépôt créée à la mobilisation, un demi-bataillon d'infanterie territoriale (soutien et aménagements matériels), une batterie d'artillerie à pied, une demi-compagnie du génie territorial, une compagnie de douaniers de forteresse fournissant des postes de surveillance de la frontière, de petits détachements de chasseurs forestiers, infirmiers, etc., et enfin des auxiliaires de places fortes, soit un total de 2.500 rationnaires. L'armement de la place se compose d'une batterie de pièces de forteresse, modèle de Bange en 120 long, et d'une batterie de 6 pièces de 90 mm, dite batterie de sortie. Celle-ci ne dispose que de quelques chevaux et ne peut se déplacer. Il existe en outre un petit nombre de pièces de modèle ancien et quelques mitrailleuses destinées au combat rapproché et au flanquement des fossés.
    Les vivres sont prévus pour une durée de deux mois. Quant au commandement, il subit à partir de la mobilisation plusieurs modifications et ce n'est que le 6 août 1914 qu'il est réellement assuré. Le nouveau gouverneur, le lieutenant-colonel Faurès, rejoint la place ce jour-là à 18 heures. Par des travaux appropriés qui sont terminés le 21 août, il élargit la zone de défense. Puis il crée un service de sûreté mobile, prolongé au delà de la frontière par des patrouilles cyclistes (2).
    Lorsque la concentration et le déploiement des armées françaises d'aile gauche sont terminés, la place de Montmédy se trouve à l'extrême droite et en avant du front occupé par la IVe armée. Le 2e corps en particulier, élément de droite de cette armée, opère dans la région sud de la place forte. II se tient en liaison avec elle ainsi que le corps colonial qui est à sa gauche.
    Le 22 août, la IVe armée se porte en avant, en direction générale du nord-est. Dès la veille, tandis que s'exécutent les mouvements préparatoires à l'offensive, le 2e corps d'armée a porté son quartier général à Montmédy où il s'est installé à partir de 11  heures (3).
    La place n'a pas à intervenir dans la bataille qui se livre en avant d'elle au cours de la journée du 22. Après l'échec de notre offensive, la garnison de Montmédy commence le lendemain à voir passer nos colonnes en retraite et recueille de nombreux blessés. La place se trouve alors dans la zone de la IIIe armée. Le 4e corps, élément de gauche de cette armée, a reçu dans la matinée l'ordre d'appuyer en cas de retraite, sa gauche à Montmédy. II se met en liaison à 11 heures avec le gouverneur (4). Les troupes de la garnison sont alertées et occupent leurs positions de défense, mais elles n'ont pas à intervenir. Seule la section de 120 long du secteur sud-est tire quelques coups de canon sur des rassemblements ennemis.
    Les 23 et 24 août, le général en chef et le commandant de la IVe armée ordonnent de prendre, en raison de la situation,. les mesures préparatoires à la destruction des ouvrages d'art importants de la place forte et de la région qui l'avoisine, en chargeant les dispositifs de mine du tunnel de Montmédy, des ponts sur la Chiers de Montmédy, Vigneul, Chauvency-le-Château et Chauvency-Saint-Hubert (5).
    Cependant la retraite des IIIe et IVe armées va laisser la place de Montmédy abandonnée à ses propres forces. En raison de la proximité de l'ennemi, le gouverneur rappelle, le 26 août, les éléments de la défense mobile qui se trouvaient au dehors. Des reconnaissances sont envoyées vers le front menacé, mais ne peuvent prendre contact.
    Bientôt les Allemands débordent Montmédy hors de la portée de ses canons, au sud-est par Marville et au nord-ouest par Margut, à la poursuite des armées françaises (6).
    Le 26, en fin de journée, le gouverneur, apprenant que les ponts sur la Chiers de Chauvency-le-Château et de Chauvency-Saint-Hubert ont été détruits par le 2e corps après sa retraite, demande au grand quartier general s'il y a lieu de procéder à la même opération en ce qui concerne le tunnel, le pont du chemin de fer conduisant à Verdun et celui de la route de Montmédy dont les dispositifs sont chargés. Les communications télégraphiques étant rompues, la place communique avec l'extérieur au moyen du fil souterrain qui la relie à Verdun. Par ailleurs, elle est restée en liaison jusqu'à 16h30, par pigeons voyageurs, avec Longwy (7).
    Au cours de la nuit, arrive l'ordre du général en chef de faire jouer les dispositifs de mines préparés (8). Le tunnel et les ponts sur la Chiers sautent le 27 août à 5 heures du matin. Le gouverneur réunit alors le conseil de défense et, sur l'avis unanime de ses membres après avoir rendu compte à 7h45, au commandant en chef, des destructions qui viennent d'être opérées, il ajoute qu'en raison de la situation générale, le rôle de Montmédy lui semble être terminé. Il demande en conséquence des instructions sur la conduite à tenir afin d'éviter une reddition à brève échéance qui occasionnerait des pertes sans résultat aucun. II est décidé à tenter de rejoindre les armées en campagne par tous les moyens en son pouvoir après avoir opéré la destruction complète des approvisionnements et du matériel impossibles à emmener (9).
La réponse parvient au gouverneur vers 14 heures. Le général Joffre lui prescrit de considérer sa mission comme terminée, d'évacuer la place après avoir fait les destructions proposées et de tenter de rejoindre les armées françaises (10).
    Le gouverneur décide donc de s'échapper vers Verdun avec la garnison. Tout l'armement est mis hors d'état de servir, les stocks de poudre sont noyés, les approvisionnements en partie détruits et les archives brûlées.
    A 20 heures, la colonne, forte de 2.300 hommes environ (11), quitte la forteresse et se met en marche sans aucun bagage, ni aucun matériel. Les blessés non transportables sont laissés dans les hôpitaux de la place sous la garde de trois médecins.
    Le 28 août au matin, la petite troupe atteint sans incident notable le centre de la forêt de Woëvre, au lieudit "fontaine Saint-Dagobert". Elle s'installe au bivouac et fait un long repos, puis elle repart vers le sud pour tenter le passage de la Meuse à Consenvoye. Arrivée à proximité de la route de Murvaux à Brandeville, ses éclaireurs lui signalent des mouvements de troupes ennemies. Elle s'arrête à couvert pour passer la nuit. Le lendemain 29 août, à 4 heures, elle débouche du bois. Un poste allemand est surpris et bousculé, mais le bataillon du 65e qui est en tête se heurte bientôt à des forces importantes dont. les feux battent la lisière des bois et le débouché de la route et il est contraint de reculer. Les autres éléments s'engagent d'une manière décousue et une série de combats ont lieu sans cohésion, dans la forêt et sur la route. Mais de nouvelles forces ennemies entrent bientôt en action et, vers 8 ou 9 heures, la petite troupe dont toutes les fractions sont dissociées, est encerclée de toutes parts et faite prisonnière. Elle a subi des pertes importantes en hommes et en officiers. Le bataillon du 165e à lui seul laisse sur le terrain 10 officiers dont 6 tués. Les commandants de l'artillerie et du génie sont tués. Au total, sur 43 officiers, 12 ont été tués et 12 blessés.


Annexe n° 2665. (pages 920 et 921)
Rapport du lieutenant-colonel Faurès ancien gouverneur de Montmédy, sur les événements survenus dans la période du 6 au 24 août (12).

(EXTRAIT)
Combats du bois de Murvaux (29 août).


    Vers 1 heure du matin, je réunis les officiers pour les mettre au courant de la situation et leur donner mes ordres.
    Pas de renseignements précis sur l'ennemi, en dehors du poste établi sur la route et des mouvements de troupes et de convois de l'est vers l'ouest.
    La compagnie de tête du 165e RI, débouchant du bois à 4 heures, enlèvera ou bousculera par surprise et sans tirer sur le poste ennemi. Le reste du bataillon suivra immédiatement, en formation échelonnée, et gagnera le plus rapidement possible du terrain en avant du bois pour s'établir en flanc-garde, face à l'est, à cheval sur la route. A l'abri du masque ainsi formé, les autres éléments de la colonne continueront leur marche vers le sud. Des points de ralliement successifs étaient indiqués.
    Le combat s'engage tout d'abord à l'heure fixée et conformément aux ordres donnés. Le poste ennemi est surpris et bousculé. Les unités du 165e gagnent assez rapidement du terrain en avant, dans la formation indiquée, particulièrement les éléments de droite qui utilisent le couvert du bois de Brandeville. Mais la résistance de l'ennemi devient de plus en plus sérieuse et le bataillon se heurte à des forces importantes, dont certaines abritées dans des tranchées qui battent la lisière des bois et le débouché de la route. En butte à des feux de face et de flanc, les unités du bataillon doivent répondre face à l'ennemi. La progression devient de plus en plus lente et au bout de quelque temps le bataillon est forcé de s'arrêter.
    Les autres éléments de la colonne, éléments peu homogènes je le rappelle, et nullement préparés au combat d'infanterie, recevant des coups destinés aux unités engagées, se laissent entraîner dans l'action au lieu de poursuivre leur marche vers le sud, en exécution des ordres donnés. Ces éléments s'engagent successivement, très courageusement, mais sans ordre, dans des directions souvent très dangereuses pour les unités engagées, provoquant ainsi le désordre et la confusion et rendant le commandement fort difficile, pour ne pas dire impossible.
    Sous la pression de l'ennemi qui reçoit constamment de nouveaux renforts et menace de le déborder, le bataillon du 165e déjà éprouvé par des pertes sérieuses, doit reculer jusqu'à la lisière où le combat se poursuit pendant quelque temps.
    Bientôt de nouvelles forces ennemies, cavalerie faisant du combat à pied avec mitrailleuses, accourent de la direction de Murvaux au bruit du combat et entrent en ligne à leur tour. On doit faire face à ce nouveau danger.
    La lisière est du bois doit être abandonnée à son tour devant les menaces d'encerclement de l'ennemi. Le combat se poursuit encore quelque temps à l'intérieur du bois dans les conditions les plus défavorables. Le cercle se resserre de plus en plus et, après un combat inégal et des plus meurtriers, les débris de la garnison, dispersés, disloqués sont cernés par l'ennemi et faits prisonniers : les uns sur le terrain même de la lutte, à l'issue du combat, les autres dans la soirée.
    Toutefois quelques petits groupes ou hommes isolés, ayant échappé à l'encerclement, errèrent dans les bois pendant plusieurs jours, cherchant à se soustraire à la captivité. Mais, traqués par l'ennemi, vaincus par la fatigue et par les privations, la plupart furent faits prisonniers, parfois après plusieurs semaines d'efforts inutiles. Seuls, quelques isolés réussirent, à force d'énergie, à rejoindre Verdun ou les lignes françaises.
    Personnellement, je fus, à l'issue du combat, séparé, malgré mes protestations, des quelques hommes qui se trouvaient auprès de moi et conduit au général von Fabeck, commandant du 130e corps würtemburgeois, qui se tenait avec son état-major, sur la route de Louppy, à quelques kilomètres du lieu du combat. J'appris ainsi que nous nous étions heurtés à des forces ennemies très supérieures en nombre, une colonne du 13e CA allemand, en marche vers la Meuse.
    Dans la journée, je fus conduit au QG de l'armée du Kronprinz, installé à Aumetz, et enfin, dans la soirée, à Thionville pour être dirigé le lendemain sur Ingolstadt, où j'arrivai le 1er septembre et où je fus rejoint les jours suivants par un certain nombre d'officiers de la garnison de Montmédy, prisonniers comme moi.

Montmédy

(1)    Dépêche ministérielle, 3731 1/11, 6 avril 1909.
(2)    Plan XVII. Renseignements concernant les places fortes voisines de la zone de concentration des armées du Nord-Est. - Rapport du lieutenant-colonel Faurès, ancien gouverneur de Montmédy, sur les événements survenus dans la période du 6 au 29 août 1914, Annexe 2665. (Rapport non daté, parvenu au service historique le 30 janvier 1924 et enregistré sous le n° 6846)
(3)    Journal de marche 2° C. A. (Cf. tome 1, volume I, chapitre XI) - Journal de marche
(4) Rapport du gouverneur de Montmédy, page 3, cf. tome 1, volume 1 chapitre XI.
(5) G. Q. G. Télégramme à Ve et IV armées, 1827, 23 août 1914, Annexe 129. - IVe armée. Note à commandant d'armes Montmédy, 281/3, 24 août 1914, Annexe 220. - Q. G. Télégramme à commandant d'armes Mézières, 2092, 18 heures, 24 août 1914. - G. Q. G. Télégramme à commandant d'armes Montmédy, 2095, 23h 5, 24 août 19 14, Annexe 160.
(6) Rapport du gouverneur de Montmédy, page 4.
(7) Gouverneur Verdun. Télégramme à G. Q. G., 681/3, 22h 30, 26 août 1914. Annexe 773. - Région : Télégramme à ministre et à G. Q. G.. 19h30, 27 août 1914.
(8) G. Q. G. Télégramme à gouverneur Verdun, 2369, 27 août 1914, Annexe 797. - Gouverneur Verdun. Télégramme à gouverneur Mootmédy, 684, 37 août 1914, Annexe 950.
(9)  Gouverneur Montmédy. Télégramme à gouverneur Verdun (pour G. Q. G.), 71115, 27 août 1914, Annexe 970.
(10)    G. Q. G. Télégramme à gouverneur Verdun (pour Moutmédy), 2421, 1h), 27 août 1914, Annexe 804. - Rapport du gouverneur de Montrnédy, page 5. - Médecin-major Lorentz. Lettre à Mme Faurès, 4 mai 1915.
(11) Les auxiliaires des places fortes ont été renvoyés dans leurs foyers.
(12)  Note du S. H. - Ce rapport est non daté. Il a été rédigé d'après les souvenirs du Lt-colonel Faurès et d'après quelques notes réunies dans les derniers mois de 1920. Entré au service historique le 30 janvier 1924 et enregistré avec le n° 6846.