Les casemates CEZF de Brandeville
Près de la route de Murvaux, au pied de la côte de Brandeville, il y a deux casemates Maginot. L'une, la casemate ouest, se trouve à une vingtaine de mètres dans le bois, en contrebas de la route, et n'est pas visible lorsqu'on passe en voiture. Elle est sur le territoire de la commune de Lion-devant-Dun, juste en limite de notre propre commune. L'autre, la casemate est, distante de la première de 500 m environ, est parfaitement remarquable dans un pré des Tournillons, à 30 m de la route. Vous la connaissez tous.
Situation des deux casemates Maginot de Brandeville
A gauche, la casemate ouest, et à droite, la casemate est.
Nous vous proposons ici une visite guidée de ces deux ouvrages, faite par un spécialiste en armement qui vous fera mieux comprendre le pourquoi de ces constructions et, surtout, leur conception et ce à quoi elles auraient pu ressembler si elles avaient été terminées et si elles avaient servi. Petit retour donc sur une sombre période de notre histoire locale.
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Au lendemain de la première guerre mondiale, un seul mot d'ordre prévaut en France : "Plus jamais ça"! On le clame haut et fort, la guerre de 14, l'ignoble boucherie, sera la "Der des Ders". Cependant, certains politiques ne sont pas dupes de ce pieux souhait et savent bien que les bonnes paroles ne sont d'aucune utilité face aux volontés agressives d'un puissant voisin. Aussi pensent-ils qu'il vaudrait mieux formaliser ces louables pensées par quelques actes propres à nous mettre désormais à l'abri d'une mauvaise suprise. C'est pourquoi, dès 1925, Paul Painlevé, alors ministre de la guerre, préconise la construction d'une ligne défensive au nord-est du pays. Cette idée sera reprise et fermement défendue par son successeur, André Maginot, qui réussira à faire voter, le 14 janvier 1930, une loi portant création d'une ligne fortifiée le long de la frontière nord de la France.
Il a beaucoup été dit sur la ligne Maginot. Vaincue pour les uns, contournée pour les autres, inutile pour beaucoup, il convient ici d'en redéfinir le sens initial pour bien comprendre le contexte des modestes casemates de Brandeville. Disons-le de suite : Depuis la plus haute antiquité, l'histoire a très clairement démontré qu'il n'existait aucune place forte inviolable ou invincible. Et Monsieur Maginot n'est pas naïf au point de croire que sa nouvelle ligne de défense sera différente des autres. En fait, dans son esprit, cette ligne n'est pas conçue dans un contexte de défense pure pour interdire une attaque déterminée et frontale. Elle résulte d'un autre raisonnement.
Peu de gens savent que nous avons failli perdre la guerre de 14 dès le premier mois du conflit. Nous avons en effet frôlé le clash majeur. A cela une raison simple : L'état major de l'époque estimait que les troupes d'active pourraient immédiatemnt faire face à une éventuelle agression et que nous disposerions ensuite des 3 à 4 semaines nécessaires pour mener à bien notre mobilisation générale et acheminer les troupes sur le front. Or, la brutalité de l'attaque allemande nous a pris de court et a démenti ce belle espérance. Nous avons failli être vaincus avant d'avoir pu mettre nos unités en ligne. Nous avons été sauvés in extremis par la formidable erreur tactique qu'ont commise les Allemands en marche vers le sud, contournant Paris par l'est au lieu d'investir la capitale. Ce qui, par une prompte réaction du général Gallieni, gouverneur militaire de la ville, nous permit de défoncer leur flanc droit et de les repousser : ce fut la célèbre bataille de la Marne tant vantée.
Mais le frisson rétrospectif n'a pas été oublié par tous. Et le raisonnement de Monsieur Maginot est d'offrir à la France, non pas une ligne de défense au sens propre, mais une ligne d'intimidation propre à faire réfléchir l'adversaire et à nous permettre de disposer du délai nécessaire à notre mobilisation. Et, en ce sens, reconnaissons-le, la ligne Maginot a magnifiquement joué le rôle pour lequel elle était conçue. On peut se poser en effet la question de savoir ce qu'il serait advenu si elle n'avait pas existé. Avec le recul du temps, il apparaît certain que l'armée allemande n'était pas assez forte pour envisager simultanément une double attaque sur la Pologne et sur la France. Par contre, il est à peu près certain que, sans la ligne Maginot, après avoir vaincu la Pologne, elle aurait pu se retourner contre nous beaucoup plus rapidement et passer à l'attaque sans cette longue période de préparation que, de notre côté, nous avons appelée "drôle de guerre".
Qu'après avoir pleinement joué son rôle dissuasif, aussi bien du côté allemand que du côté italien, la ligne Maginot ait été effectivement contournée, cela ne fait aucun doute. Mais n'oublions pas que ce sont les Belges qui se sont fermement opposés à sa prolongation jusqu'au Pas de Calais. Malgré le malheureux précédent de la guerre de 14, ils estimaient encore une fois être à l'abri de leur neutralité.
Quant à être vaincue, la ligne Maginot ne l'a jamais été et, une fois de plus, a encore pleinement rempli son rôle. Pour la ligne principale de défense, au nord-est, on oublie trop souvent que, dans la débâcle générale, les équipages Maginot, en majorité intacts et toujours opérationnels, ont refusé l'armistice et de se rendre. Il aura fallu de sévères menaces allemandes (notamment que les équipages rebelles soient considérés comme francs tireurs, non protégés par la Convention de Genève et passés par les armes) pour que les soldats consentent enfin à abandonner leurs forts après les avoir discrètement rendu inutilisables en violation des clauses de l'armistice qui prévoyaient la restitution des ouvrages intacts. La réponse allemande sera à hauteur de l'outrage : alors que ces hommes invaincus auraient dû être démobilisés et rapatriés vers la zone libre, ils iront croupir durant 5 ans dans les camps de prisonniers allemands. Par ailleurs, la ligne alpine a infligé en moins de 48 heures une sévère déculotté aux troupes italiennes qui ont été obligées de battre piteusement en retraite dans toutes les Alpes ; sauf à Menton, l'endroit le plus facile, où elles ont pu conserver la ville et 3 km de territoire français. C'est notre seule victoire de 1940, celle dont on ne parle jamais !
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Mais nous avons anticipé. Revenons à 1930. Lorsque les travaux débutent, il n'est pour l'instant question que de construire une ligne dissuasive le long de la frontière allemande. Selon les plans initiaux, cette ligne ne comprendra des gros ouvrages que dans sa partie centrale. Dans l'esprit de l'état major français, le massif des Ardennes à l'ouest et le Rhin à l'est sont des obstacles naturels suffisants pour interdire toute grosse attaque ; ces deux secteurs ne seront donc équipés que de casemates d'appoint. Les gros ouvrages, quant à eux, d'une conception totalement révolutionnaire pour l'époque, sont distants de 5 à 6 km, disposition dictée par la portée utile de l'artillerie principale de ces forts : le fameux canon de 75 mm. Les différents ouvrages doivent en effet pouvoir se couvrir les uns les autres pour offrir une barrière efficace. Les intervalles seront fermés par des champs d'obstacles (barbelés, champs de mines, rails antichars, etc) et des casemates d'appoint. Enfin, une deuxième ligne de casemates d'intervalles est prévue en retrait de la principale ligne de défense.
Schéma d'organisation d'un secteur type
Les travaux gigantesques qui vont se dérouler de 1930 à 1935, ne concerneront que les gros ouvrages car le budget alloué sera vite épuisé et une deuxième nécessité deviendra prioritaire. Devant la montée de fascisme italien, il faut envisager la construction d'une deuxième ligne Maginot dans les Alpes. Grave dilemme : que faire ? Finir la ligne déjà construite ou en entamer une seconde en laissant la première inachevée sans ses petits ouvrages ? La deuxième option prévaudra. Cette deuxième ligne verra le jour de 1935 à 1940 (certains gros forts ne seront pas encore terminés à cette date). Du coup, d'un côté comme de l'autre, les casemates d'appoint et les aménagements annexes passeront à la trappe. La plupart d'entre eux ne sortiront pas de terre.
Cette situation va durer jusqu'en 1939. Le péril devenant
imminent, ils convient dès lors de boucher les intervalles
dans
l'urgence. On s'aperçoit alors que si des défenses
d'appoint ont bien été prévues sur le papier,
rien
n'a été décidé quant à leur
forme,
leur qualité, leur équipement sur le terrain.
Diverses
commissions militaires, aussi bien mandatées par les
autorités supérieures que par les unités sur
le
terrain, vont donc se pencher sur le problème dans le
désordre le plus complet. Chacune y va de sa petite recette
infaillible censée produire des ouvrages plus
résistants
et plus efficaces que ceux des voisins. Alors qu'une grande
normalisation a présidé à la conception des
gros
ouvrages Maginot et que tous les équipements y sont
standardisés, ici, c'est la foire d'empoigne la plus
totale, la
guerre des crédits et des passe-droits pour obtenir des
livraisons qualifiées de "hautement prioritaires". Ainsi
voit-on
naître une pléthore de sigles barbares, CORF
(Commission
des Ouvrages des Régions Fortifiées), CEZF
(Commission
d'Etude des Zones Fortifiées), SFAM (Secteur
Fortifié des
Alpes Maritimes) et autres qui proposent en double ou triple
emploi des
plans de casemates de cinquante modèles différents
(STG,
MOM, AC, PA, PO, etc) censés répondre à
divers
besoins, mais que l'on peut néanmoins classer en trois
grandes
catégories :
- Des petits fortins d'avant-postes ; simples blocs de
béton
sans aucun aménagement interne, à l'exception d'une
embrasure de tir pour arme automatique, et d'une entrée
(souvent
sans porte) à l'arrière. Ces ouvrages situés
en
avant de la Ligne Principale de Résistance (LPR) ont pour
mission de donner l'alerte et de livrer un combat retardateur de
quelques dizaines de minutes, le temps que les gros ouvrages
prennent
le relais.
- Des abris "de surface" qui ne sont autres que les casemates dont
nous
allons longuement reparler.
- Des abris "cavernes" qui ne sont autres que deux abris de
surface
couplés et reliés entre eux par des puits et une
galerie
située 30 m sous terre, dans laquelle sont installés
les
parties techniques et les locaux d'hébergement de
l'équipage. Les abris cavernes doivent couvrir les
intervalles
particulièrement larges ou exposés.
Différence entre abri de surface et abri caverne
La naissance des deux abris de surface CEZF de Brandeville s'inscrit donc dans ce contexte peu reluisant. Elles devaient faire partie du "barrage de la Meuse" de la deuxième ligne de défense. Cet ensemble devait comporter 14 casemates identiques se répartissant par moitiés en rives gauche et droite de la Meuse. Le sous-ensemble est s'inscrivait en grande partie sur le territoire de la commune de Lion-devant-Dun. Il n'a été réalisé qu'en partie. On peut donc considérer que c'est vraiment miracle que nos deux casemates aient vu le jour. Quant à être terminées, bien entendu, avec les évènements que l'on sait, elles ne le seront jamais. Elles ne sont que des enveloppes en béton, vides et n'ayant jamais reçu leurs équipements métalliques (portes, blindages et autres), ou la moindre occupation amie ou ennemie.
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Penchons-nous maintenant d'un peu plus près sur ces deux réalisations. Examinons tout d'abord leur situation. Si la position de la casemate est (Tournillons) se défend à peu près, celle de la casemate ouest est totalement inutilisable. A se demander comment une commission "d'experts" a pu décider d'une telle implantation. Non seulement cette construction est postée en dessous de la route qu'elle ne peut ni couvrir ni interdire par ses tirs, mais elle est perdue en plein bois. On peut certes supposer que des coupes claires auraient dégagé des champs de tir, mais, même en supprimant une bande d'arbres de 200 m de large au nord de la D 102 (route de Brandeville à Murvaux), les capacités de cette "forteresse" resteraient pratiquement nulles. Bel exemple de gaspillage des deniers publics. Il n'en va pas de même pour sa soeur jumelle qui, mieux située sur un renfort de terrain, avec quelques aménagements adéquats, aurait pu couvrir efficacement la route et la plaine de Brandeville par ses tirs en enfilade et de flanquement.
Par contre, d'un point de vue architectural, ces deux réalisations sont strictement identiques et d'un très grand classicisme. Elles présentent tout d'abord un "rempart" derrière lequel est bâti le reste de la construction. Cette épaisse paroi de béton aveugle, tournée vers "l'avant" (direction d'où vient en principe l'ennemi), donc vers le nord, devait être doublée d'une épaisseur de rocaille et d'un talus de terre en pente douce pour absorber les tirs des canons ennemis.
Casemate et ses talus de protection
Coupes de casemate CEZF
En haut, coupe de gauche à droite, parallèle au
rempart
de protection.
En bas, coupe d'arrière (à gauche) en avant
(côté aveugle à droite).
Derrière cette protection, la casemate
s'organise sur trois niveaux :
- Le niveau inférieur, ou niveau technique, accessible par
diverses trappes, doit contenir tous les appareilllages propres
à assurer la vie de l'équipage : groupe
électrogène, organes de ventilation, réserves
de
vivres, d'eau, de carburant, etc.
- Le niveau supérieur (rez-de-chaussée), ou niveau
de
combat, se subdivise grosso modo en quatre chambres de tir. Deux
grandes, juste derrière le rempart, pour recevoir des
jumelages
de mitrailleuses Reibel mac 31 (mac = Manufacture Armes
Châtellerault) ou des canons antichar de 25, 37 ou 47 mm
selon
les modèles disponibles. Et deux petites chambres pour des
fusils mitrailleurs mac 24/29 ou des mitrailleuses Hotchkiss.
- Enfin, une cloche cuirassée de toit permet une vue sur
360° ou tout au moins sur les 240° tournés vers
l'avant.
Elle sert à assurer le guet et la protection
supérieure
de l'ouvrage.
Plan d'une casemate CEZF
L'avant se situe en haut du croquis, et l'arrière vers le
bas.
Vues droite et gauche de la casemate
est
(Tournillons)
Du centre vers les bords : - l'éperon latéral du rempart (le talus supplémentaire de protection est ici absent), - embrasure de tir pour canon ou jumelage mitrailleuse (grande ouverture), - et embrasure de tir pour fusil mitrailleur ou mitrailleuse (petite ouverture). Les orifices ronds à côté des embrasures ne sont pas des bouches à feu, mais des prises d'air qui auraient été normalement protégées par une grille blindée. |
Il va de soi que les abords des ouvrages étaient aussi protégés. Les casemates n'étaient pas posées seules en pleine nature telle qu'on peut les voir aujourd'hui. Tout d'abord, il est probable qu'une bande bois aurait été coupée le long de la route de façon à ce que les deux positions puissent se soutenir l'une l'autre. D'autre part, divers obstacles (barbelés) en auraient interdit l'approche. Enfin, certaines casemates étaient équipées d'un fossé Diamant (du nom du général qui l'a mis au point) devant les embrasures et les portes d'entrée ; toujours pour interdire à l'ennemi de venir au contact. Mais ces différents aménagements périphériques n'ont jamais vu le jour dans le cas des deux constructions qui nous intéressent ici. Et il n'est pas possible de dire si le profond fossé encore visible autour de la casemate ouest (bois) résulte du creusement des fondations non comblées de l'ouvrage ou de la préparation d'un futur fossé Diamant.
Obstacles de protection périphériques
(rails antichars, barbelés, champs de mines)
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Nous allons maintenant reprendre l'étude détaillée de tous ces éléments.
Le rempart par lui-même n'offre aucun intérêt particulier si ce n'est qu'il est complètement aveugle, ne possède aucun orifice et devait être protégé par des blocs de pierre eux-mêmes recouverts de terre.
Comme nous l'avons dit, l'étage inférieur est
l'étage technique. Il ne comporte lui aussi aucune
particularité si ce n'est qu'il contient tous les
éléments vitaux de l'ouvrage et que, dans baucoup de
casemates, par gain de place et de coût, on y accède
par
des trappes et non par un escalier.
Les étages inférieurs des deux casemates qui nous
concernent ici, n'ont jamais été
aménagés. Pour plus d'informations : Ventilation des
fortifications - Casernement. http://www.maginot.org/genie/ventilation-002_fr.htm
Document réalisé par E. et R. Cima à partir
de documents techniques divers et personnels.
Trappes d'accès à l'étage technique Au fond, l'entrée d'aménagement matériel. Le trait noir est un tuyau installé par un agriculteur. |
Mais, beaucoup plus que le système électrique qui alimente peu de gros appareils, le système vital des petites casemates est l'aération. En effet, les tirs d'armes automatiques produisent beaucoup de gaz non brûlés qui envahissent les chambres de tir, même si des précautions sont prises pour que les douilles vides recrachées soient immédiatement dirigées par des tubes étanches vers des cuves pleines d'eau censées les refroidir. L'expérience dans les casemates qui ont eu à combattre, démontrera que l'atmosphère y devenait vite un véritable enfer. La fumée et la poussière envahissaient tout et les soldats devaient combattre avec leurs masques à gaz sur le visage, dans une obscurité presque totale et une chaleur énorme.
Pour plus d'informations : Ventilation des fortifications - Casernement. http://www.maginot.org/genie/ventilation-002_fr.htm Document réalisé par E. et R. Cima à partir de documents techniques divers et personnels.Avant d'envisager maintenant l'étude de l'étage "de
combat", une notion très importante sur
l'hébergement des
hommes doit être évoquée ici.
Dans les gros ouvrages Maginot, les hommes partagent leur vie
entre
trois points d'hébergement distincts :
- Un casernement de surface, dit "de temps de paix", lorsqu'il n'y
a
aucune alerte. Ce casernement est généralement un
camp de
baraques légères construites en pleine nature et non
loin
des entrées de l'ouvrage.
- Un casernement souterrain, dans l'ouvrage même, mais loin
des
blocs de combat. Celui-ci n'est occupé en totalité
que
lors des grandes alertes générales. Le reste du
temps,
seules y logent les équipes de service et d'entretien.
- Des chambres de repos situées dans les blocs de combat,
juste
sous les chambres de tir, de façon à permettre aux
équipes en veille d'être immédiatement sur
place en
cas d'intervention.
Par contre, dans les petites casemates d'intervalles, rien de tel. Toute la vie se déroule dans l'ouvrage et les vingt hommes de l'équipage doivent en partager l'espace avec les armes, les casiers à munitions, les lits, les tables, les tabourets, quelques armoires, etc. La promiscuité y atteint vite les limites du supportable car chaque pièce ne fait que 4 x 5 m dans le meilleur des cas. Si quelques personnes ne s'entendent pas, la vie peut vite devenir très pénible.
Pour revenir à nos casemates, les deux grandes chambres de
l'étage de combat auraient donc eu la double fonction de
servir
d'espace de vie et de combat. Outre tout le mobilier
nécessaire,
chacune aurait reçu quatre lits, nombre suffisant pour
permettre
le repos des hommes puisqu'une moitié de l'équipage
devait toujours être de veille. Il n'y avait donc qu'un seul
lit
pour deux ou trois personnes.
L'une des chambres reçoit en outre l'accès au puits
de la
cloche de guet et un petit espace réservé au
téléphoniste : poste mural avec tablette pour
prendre les
notes.
Par ailleurs, l'armement de chacune des chambres comporte deux
ensembles :
- Un jumelage de mitrailleuses Reibel mac 31 monté en
permancence sur le créneau d'embrasure.
- Un canon antichar de 47 mm, uniquement mis en batterie en cas
d'alerte aux chars.
Le passage d'un système d'arme à l'autre se fait par
retrait de deux goupilles et simple ouverture du bouclier
blindé
qui reçoit les mitrailleuses Reibel. Il suffit d'engager
alors
le fût du canon dans l'embrasure ainsi
libérée.
Selon les casemates, le canon est monté, soit sur un
affût
crinoline fixé au sol, soit pendu à un monorail
fixé au plafond pour gagner de la place au sol.
L'état
d'avancement des casemates de Brandeville ne permet pas de dire
quel
aurait été le système de fixation retenu.
Grande chambre de tir de la casemate est Etat actuel. |
Gros plan sur une embrasure (ici pour fusil mitrailleur) Les tiges filetées servent à fixer le bouclier de protection. En-dessous, tuyau d'évacuation des douilles vers la cuve de neutralisation. Et à gauche, passage pour une goulotte à grenades. |
A côté de ces deux systèmes d'armes, les hommes disposent aussi de goulottes spéciales par lesquelles ils peuvent faire glisser des grenades à main dégoupillées à l'extérieur pour interdire à l'ennemi de venir au contact des murs de la casemate.
Conduit pour passage d'une goulotte à grenades Il y en a un pratiquement à côté de chaque embrasure de tir. |
Derrière le rempart et les deux grandes
chambres
de tir, se trouvent deux petites chambres destinées
à
recevoir chacune, soit un fusil mitraileur mac 24/29, soit une
mitrailleuse hotchkiss.
L'une d'entre elles reçoit en outre le lit du lieutenant
chef de
casemate, qui est le seul homme à disposer d'un lit
individuel.
L'autre lui sert de bureau et possède à cet effet
une
table et une pette armoire de rangement pour les papiers car
"l'administration" ne perd jamais ses droits et l'officier doit
régulièrement fournir à ses supérieurs
divers états sur l'effectif, le moral des hommes,
l'entretien de
la casemate, ses besoins en armes et munitions, en alimentation,
rapports de patrouilles (car une partie de l'équipage sort
régulièrement surveiller les abords), avancement des
aménagements extérieurs, etc. Bref, le travail ne
manque
pas.
En 1939, la mitrailleuse Hotchkiss est déjà considérée comme une arme ancienne et de peu de valeur. Lourde, fragile et sujette à de nombreux incidents de tir, elle a été remplacée par le fusil mitrailleur 24/29 qui lui est largement supérieur. Aussi n'a-t-elle été que rarement employée dans les fortifications. Mais il est parfois arrivé que, faute d'armes disponibles, certaines casemates en aient été équipées. On ne sait pas quelles armes étaient prévues pour les casemates de Brandeville.
En fait, la plupart des ouvrages Maginot seront équipés du fusil mitrailleur mac 24/29, véritable bonne à tout faire de l'armée française en 1940. Cet arme alimentée par chargeur droit de 25 cartouches est extrêmement polyvalente et convient bien à toutes les formes de combats. Elle peut tirer en coup par coup, ou par rafales (d'où ses deux détentes).
Embrasure de tir pour fusil mitrailleur sur la casemate ouest (bois) Notez la visière surplombante empêchant l'ennemi de placer des explosifs contre l'embrasure depuis le toit de l'ouvrage. Et à droite de l'embrasure, la sortie de la goulotte à grenades. |
Même embrasure avec son caisson externe pour neutralisation des douilles |
Enfin, l'étage de combat et de vie comprend une zone d'entrée en chicane protégée par une épaisse porte blindée, diverses embrasures pour fusil mitrailleur et des goulottes à grenades. Selon les ouvrages, la porte peut être ou non précédée par une fosse Diamant, de 3 m de profondeur environ, empêchant l'ennemi de venir au contact. Une passerelle métallique amovible permet de franchir cette fosse. On ne peut pas dire si l'actuel fossé entourant la casemate ouest (bois) correspond aux fondations non remblayées ou à un futur fossé Diamant.
Vue intérieur d'une entrée d'aménagement Normalement condamnée après installation des organes vitaux, elle peut être néanmoins réouverte en cas de besoin. Contrairement aux gros ouvrages possédant une entrée "hommes" et une entrée "matériels", les casemates ne possèdent en service normal qu'une seule entrée. |
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Le lecteur attentif aura peut-être deviné que, toutes les embrasures étant obstruées par des boucliers et des armes, la casemate est pratiquement aveugle et n'aurait aucun moyen de voir ce qui se passe à l'extérieur si elle ne possédait pas une (dans le cas de Brandeville) ou plusieurs cloches de toit.
Ces cloches cuirassées sont souvent le seul élément très visible des ouvrages et font aujourd'hui toute l'originalité de la ligne Maginot. Souvent reprises comme symbole dans des insignes d'unités ou d'équipages, elles en sont devenues en quelque sorte le logo.
Le modèle le plus courant est la cloche dite GFM (Guet, Fusil Mitrailleur) qui a pour double mission de surveiller les abords de la casemate à l'aide de jumelles ou d'un périscope, et de protéger ceux-ci avec son fusil mitrailleur. Il en a été cependant produit une dizaine de modèles différents pouvant recevoir divers types d'armes et d'appareils d'observation.
Ci-dessus et ci-dessous, |
Comme nous l'avons dit, la cloche GFM était essentiellement équipée d'appareils d'observation et d'un fusil mitrailleur pour exécuter sa mission.
Pour en terminer avec cette étude détaillée, il faut encore dire deux mots rapides des effectifs en hommes, armement et matériels.
Comme dans la marine, les ouvrages sont occupés par des
"équipages". Ceux des casemates de surface comme celles de
Brandeville comptent environ 20 hommes, à savoir :
- Un lieutenant, chef d'équipage.
- Un sous-lieutenant ou aspirant, chef-adjoint d'équipage.
- 3 à 4 sous-officiers spécialistes dont un
électro-mécanicien, un armurier, un transmetteur et
un
infirmier.
- Des mitrailleurs et artilleurs (nombre variable en fonction des
disponibilités, des malades, des blessés, des
permissionnaires, etc).
L'armement, pour sa part, se compose de :
- 2 canons antichars de 47 mm (uniquement si la position de la
casemate
l'exige ; ce qui aurait été le cas pour celles de
Brandeville situées près d'une route).
- 2 jumelages de mitrailleuses Reibel mac 31 (dans tous les cas).
- 4 fusils mitrailleurs mac 24/29 au minimum (embrasures des
petites
chambres, cloche GFM, porte d'entrée). D'autres
éventuellement, ou mitrailleuses Hotchkiss.
- Armes individuelles des hommes (fusils mas 36 ou mousquetons de
cavalerie ; mas = Manufacture Armes Saint-Etienne).
- Grenades à main offensives et défensives
(quadrillées).
A noter que toutes les armes individuelles et armes automatiques
autres
que les canons, consomment la munition de 7,5 mm modèle
1925 de
l'armée française. L'approvisionnement en est donc
simplifié d'autant.
Sans rentrer dans les détails, la portée utile
moyenne de
toutes ces armes est d'environ 500 m.
Seuls les gros ouvrages ont été dotés de matériel radio. La plupart des casemates étaient équipées d'un simple téléphone de campagne relié, soit à des lignes militaires, soit aux lignes civiles locales. Selon les endroits et l'urgence, les lignes ont pu être enterrées ou rester aériennes.
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Les casemates de Brandeville n'ont jamais été terminées ni occupées. On peut toutefois essayer de penser à ce qu'elles seraient devenues si elles avaient eu à combattre. Et pour cela, se référer aux casemates similaires qui se sont trouvées prises sous le feu de l'ennemi.
Le 10 mai 1940, contrairement aux prévisions de
l'état
major français, les Allemands attaquent les Pays-Bas et la
Belgique, mais lancent surtout une très grosse offensive
là où on ne les attendait pas : dans le massif des
Ardennes. Stratégiquement, la ligne Maginot est donc
contournée par l'ouest.
Un mois plus tard, le 13 juin, les Allemands récidivent en
lançant cette fois une attaque sur le Rhin faiblement
défendu par des casemates de berge. C'est un carnage. En
quelques heures, le côté aveugle des casemates, face
au
fleuve, vole en éclats sous les tirs directs des terribles
canons de 88 mm allemands amenés discrètement sur la
rive
allemande.
Il faut dire deux mots de cette arme redoutable. Le "Acht-Acht"
est un
canon de Flak (DCA) lourde. Il envoie à très haute
vitesse initiale un puissant projectile de calibre 88 mm
jusqu'à
8000 m d'altitude. Il peut tirer à la verticale (ce pour
quoi il
est fait) mais aussi à l'horizontale. Et, dans ce dernier
cas,
aucun blindage ne lui résiste, surtout si on emploie des
obus
perforants, Röchling ou à charge creuse. Alors, en tir
direct à 400 m, de l'autre côté du Rhin,
bonjour
les dégâts ! Il ne reste plus aux fantassins
allemands
passés en bateaux qu'à cueillir des équipages
français complètement hébétés,
aveugles et sourds, à moitié asphyxiés, qui
sortent les mains en l'air de leurs ouvrages crevés et
complètement ravagés.
En effet, l'attaque des casemates ainsi que les diverses opérations de harcèlement effectuées par les Allemands sur tous les gros ouvrages Maginot pendant que le gros de leurs troupes passait par l'ouest ou l'est, a permis de révéler une relative faiblesse des ouvrages et que la ligne était loin d'être invincible. En de nombreux endroits, sans qu'ils s'en rendent compte, les Allemands ont mis des ouvrages hors de combat et ont été bien près de percer la ligne. Mais ces manoeuvres n'ont pas abouti parce que les instructions étaient autres : harcèlement et non attaque frontale à but réellement offensif.
Il n'en demeure pas moins que, s'agissant des premiers combats
mondiaux opposant de l'artillerie à du béton, ces
derniers ont révélé quelques points
intéressants :
- Les cloches métalliques blindées ont dans
l'ensemble
bien résisté. Il est vrai qu'elles avaient
été testées avant leur mise en oeuvre, avec
des
chiens à l'intérieur, qui ont démontré
que,
sauf à ce que les impacts percent les parois, les
personnels ne
risquaient rien d'autre qu'un éclatement des tympans sous
l'effet des ondes de choc et sonores.
- Par contre, le béton, malgré son épaissur
qui
paraissait énorme, a révélé des
faiblesses
dont la plus surprenante est désormais connue sous le nom
"d'effet Hopkinson".
Epaisseurs des composants béton Maginot en fonction de
leur
exposition
L'onde de choc d'un projectile s'écrasant sur la façade extérieure d'un ouvrage, provoque le détachement d'écailles de béton côté intérieur. Les ondes de choc réfléchies par la surface de la paroi intérieure, en rebroussant chemin, interfèrent avec les autres ondes et créent des contraintes qui, en certains points, dépassent la limite de résistance mécanique du béton. Alors il y a rupture (effet Hopkinson), une écaille se détache de la paroi et est projetée sur les hommes d'équipage. Sa vitesse peut être telle qu'elle blesse ou tue le personnel qui se croit à l'abri dans l'ouvrage. Parfois elle se fragmente et donne une grêle encore plus dangereuse, car plus largement étalée. La taille de ces écailles est directement liée à la surface d'écrasement du projectile ; plus celle-ci est grande, plus l'écaille est grosse. La solution consiste à habiller l'intérieur des locaux de plaques de blindage en acier évitant la projection des éclats.
Effet Hopkinson |
Solution à l'effet Hopkinson |
Nous pouvons donc affirmer que si les casemates de Brandeville avaient dû combattre, elles auraient sans doute eu une triste fin.
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Aujourd'hui, à l'heure de la communauté européenne, elles constituent donc un vestige du passé intéressant car, comme vous venez de le voir, au-delà de leur béton nu, il y a beaucoup à dire sur leur structure.
En outre, elles ont enfin trouvé un emploi beaucoup plus
pacifique. Elles sont occupées par un équipage de 3
à 400 chauves-souris qui en ont fait leur nid.
Et lorsqu'on cherche à pénétrer à
l'intérieur, ces dernières sortent en bloc,
refoulant
l'ennemi à l'extérieur, selon la
célèbre
devise Maginot :
On ne passe pas !
L'auteur avec des membres de l'équipage actuel
Ecrit par Ph. EMONET
pour le compte du site de Brandeville,
http://1ber.free.fr