ANNIVERSAIRE.--Leur convoi était resté bloqué 27 jours
à Bordeaux. 700 déportés ont vécu l'horreur de
gare en gare, avant de connaître le 9 août, les camps de la mort.
L'odyssée du train fantôme
:Dominique Richard Les convois de la mort
AFP9 juin 1944. Trois jours après le débarquement allié
en Normandie, les Allemands investissent le camp d'internement pour étrangers
du Vernet, en Ariège, jusqu'alors administré par la gendarmerie
et la police de Vichy. Les derniers Israélites ont été
déportés quelques mois plus tôt. Les rares hommes valides
sont réquisitionnés par l'organisation Todt pour édifier
des fortifications sur le théâtre des combats. Les militants
antifascistes qui restent, Italiens et Espagnols pour la plupart, sont malades,
vieux ou mutilés.
Fin juin, le camp est abandonné et les détenus transférés
à Toulouse pour être regroupés avec les résistants
incarcérés à la prison Saint-Michel. En moins de trois
jours, les Allemands forment un train de marchandises et constituent une
escorte de 150 militaires. Lorsque la rame s'ébranle le 3 juillet
en fin de matinée, 500 personnes s'entassent à soixante-dix
par wagon. Des planches ont été clouées sur les rares
ouvertures. Les maquisards ayant fait sauter la voie entre Toulouse et Brive,
les Allemands décident de rallier Paris via Bordeaux.
Retour à Bordeaux. Le lendemain, le train est attaqué dans
la campagne charentaise par un avion anglais. Trois prisonniers et un gendarme
allemand succombent sous la mitraille. Après plusieurs manoeuvres
infructueuses, la rame bat en retraite à Angoulême. La gare
a été entièrement détruite par les bombardements.
Retour à Bordeaux où le convoi stationne plusieurs jours dans
la zone marchandises. Le 12 juillet, en pleine nuit, les prisonniers sortent
des wagons empuantis et traversent à pied la ville avant d'être
parqués dans la synagogue.
Pendant vingt-sept jours, ils restent enfermés dans le temple profané
par les nazis. En guise de nourriture, ils n'ont droit quotidiennement qu'à
un morceau de pain et à quelques louches d'eau chaude. Les poux et
la vermine prolifèrent. Le 30 juillet, dix hommes sont appelés.
Parmi eux, le professeur Albert Lautman, célèbre pour ses travaux
sur les mathématiques modernes. Il fera partie des quarante-six hommes
exécutés sur ordre de la Gestapo, le 1er août à
Souge, près de Bordeaux.
Ses compagnons d'infortune ignorent son sort. En regardant le visage défait
des gardes, ils retrouvent pourtant le moral. Les Alliés progressent.
La route de l'Allemagne semble coupée. Pourtant, le 9 août au
matin, le train fantôme est à nouveau à quai, gare Saint-Jean.
Plusieurs wagons supplémentaires ont été ajoutés
pour « évacuer » 170 « terroristes » jusqu'alors
emprisonnés au fort du Hâ. Paris interdit, le Massif central
à feu et à sang, les Allemands ont décidé de
passer par le Sud et la vallée du Rhône.
Sous la mitraille de l'aviation. Le convoi est immobilisé pendant
cinq jours à proximité de Nîmes. La chaleur transforme
la prison roulante en fournaise. L'ancien directeur d'une banque d'Arcachon
meurt d'inanition. Le 15 août, les Alliés débarquent
en Provence, les bombardements s'intensifient. Les ponts s'effondrent. Les
déportés gagnent la rive droite du Rhône après
avoir marché en colonne pendant 17 kilomètres. Depuis plusieurs
jours, ils ne mangent plus rien. Les maigres provisions de pain emportées
à Bordeaux ont moisi, provoquant une terrible dysenterie. Grâce
à la complicité de cheminots, trente prisonniers faussent compagnie
au convoi à Sorgues (Vaucluse). Parmi eux le mari d'Alice Bessou.
Enceinte, la jeune femme qui ne reviendra pas des camps a le temps de l'apercevoir
par la fenêtre d'un wagon.
Avant Montélimar, la rame est attaquée par plusieurs appareils.
Dix morts. Pris de folie, un homme hurle dans un wagon. Un gendarme allemand
le fauche d'une rafale. Les prisonniers attendent leur salut d'une attaque
de la Résistance. Elle ne viendra jamais. A plusieurs reprises, les
aviateurs alliés prennent le train fantôme pour un transport
allemand. Pour sauver leur peau, les déportés fabriquent à
l'aide de vêtements des drapeaux tricolores qu'ils attachent à
des bâtons glissés entre les planches disjointes. La vallée
du Rhône s'embrase, mais le train gagne Lyon puis la Bourgogne malgré
les sabotages des maquis.
Terminus Dachau. La frontière se rapproche. Dans la nuit du 25 au
26, alors que le train avance à faible allure en Haute-Marne, des
dizaines de prisonniers jouent le tout pour le tout. Ils se laissent tomber
sur le ballast après avoir patiemment défait le plancher du
wagon avec une lime, une barre de fer et de vieux ciseaux. Plusieurs d'entre
eux meurent écrasés. Le 28 août au matin, jour de la
libération de Bordeaux, le train arrive au camp de concentration de
Dachau. Le voyage a duré près de soixante jours. Pour ces hommes
et femmes affaiblis et squelettiques, le plus dur commence.
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15/08/02